De la colère, mon amour par Mai Hua

“Elle est où ta colère ?”

Mon amoureux est taquin, mais au fond, il est sérieux. C’est un psy anglais, spécialiste du shadow work (le travail sur nos parts d’ombre) et même prof de colère.
 
Nous sommes en 2016, j’ai 39 ans, je suis blogueuse beauté et je travaille sur mon premier long métrage, traitant de la lignée des femmes de ma famille : Les Rivières. Je viens de lui montrer un premier montage du film sur lequel je suis bloquée et ne comprends pas ce qu’il me dit.
 
- Je n’ai pas de colère et nous avons pardonné. Ce n’est pas moi, voilà tout. Je suis… joie. 
 
- Alors ta joie n’est qu’un masque.
 
Mon grand amour semble voir au-delà de ce masque qui le regarde. J'entreprends donc cette exploration de l’autre côté du masque, non par conviction, mais par amour pour lui. Profondément persuadée de ne rien trouver.
 
MDR.
 
Il me faut du temps, évidemment. Trois mois entre ce moment et la première petite colère. Puis encore trois autres pour la grosse. Un long chemin, à l’inverse de ce qu’on nous demande d’habitude : nous calmer, trouver la paix, ne.pas.s’énerver.
 
La longue marche vers la colère a commencé par un souvenir. Un cours de krump, que j’avais suivi trois ans auparavant. Le krump, c’est justement la danse de la colère. Mon professeur ce jour-là s'appelle Tight Eyez. C’est le créateur même de cette danse, devenue légendaire, notamment grâce au film Rize, de David La Chapelle. Il nous raconte son enfance modelée par la violence, le père en prison, la mère camée, le grand-père qui lui tire dessus. Et l’atteint. 
 

“Quand je danse, je suis à mon maximum de souffrance. D’une certaine manière je peux vous apprendre une choré, mais je ne peux pas vous apprendre le krump.”
 

Le cours commence mais je suis estomaquée, et reste interdite. Le corps immobile. Impossible d’en sortir un quelconque mouvement. Je regarde mes copines qui se plaisent à cet exercice de la colère, rient même parfois de la trouver, de lui donner une forme. Mais moi je me sens illégitime, observée et bien sûr jugée. Je les regarde en souriant, toujours pétrifiée.
 
C’est parce que je n’ai pas de colère (je suis joie). Ah ah ah.
 
De pétrifiée, je passe à glacée. Je me sens humiliée. Moins par le regard des autres, moins par la déception du prof (tout cela étant bien sûr le fruit de mon imagination angoissée) que par la toute petite voix intérieure qui me souffle : “tu mens”.
 
C’était facile de la faire taire, cette petite voix du dedans, tellement elle venait de loin, tellement elle était toute petite, mais trois ans plus tard, ce souvenir refait surface comme par enchantement.
 
Bien sûr que je mens. 
 
C’est décevant bien sûr, mais pas seulement. J’ai 40 ans et commence ainsi à faire mes recherches de colère, et à pratiquer. Oui, la colère est devenue une “pratique”, et elle a changé ma vie, aussi bien dans l’intime de mes relations, des cercles de paroles que je facilite, que dans l’aspect politique de mes créations.
 
L’amoureux et moi-même avons d’ailleurs réalisé une courte vidéo toujours disponible sur Instagram (que ma fille a doublée) pour expliquer les fondamentaux de cette pratique si cela vous intéresse. Voici ici, plus spécifiquement, 8 choses que j’ai apprises sur la pratique de la colère:

1. Se réapproprier ce qui nous a été interdit 

Les Anglais ont ce proverbe fabuleux : boys don’t cry, girls can’t get angry ! Les garçons ne pleurent pas, les filles ne peuvent pas se mettre en colère.
 
Oui, la colère participe à l’organisation genrée de notre société, et à séparer de manière binaire les hommes et les femmes. La colère des premiers les rend puissants et craints, la colère des secondes les rend ridicules, hystériques, insupportables. Ainsi, mon Anglais raconte que sur des exercices très simples comme « on te met dans une salle confinée avec une batte de baseball et des coussins », les hommes n’ont aucun problème à taper pour laisser leur colère s’exprimer, alors que les femmes vont se à mettre sangloter à la simple idée de prendre la batte dans leurs mains. Les traumatismes transgénérationnels, transmis depuis des siècles par les tueurs de sorcières, semblent comme imprimés en nous.
 
Parce que se mettre en colère pour une femme est juste interdit.
 
C’est pourquoi la colère est, en soi un sujet féministe, d’autant que parler de ces infréquentables  “angry feminists” est une manière très efficace de les disqualifier. 
 
Les choses évoluent pourtant depuis Metoo, et durant un cercle thérapeutique mixte que nous avons organisé en mai 2022, voici ce qu’il s’est passé.
 
Certaines femmes se sont certes mises à pleurer dans un premier temps, mais presque toutes ont ensuite fini par taper. Mieux, elles en ont tiré une grande joie, un sentiment de complétude. Les membres du cercle (hommes, femmes, cis et non binaire) les encourageaient, les applaudissaient, les soutenaient. Quelque chose d’interdit jusque-là leur était désormais autorisé; elles se sentaient vues, soutenues et validées. Leur royaume s’en trouvait ainsi grandi. 
 
Seule une des femmes n’a pas pu faire l’exercice, restant comme moi au cours de krump, totalement interdite. Les larmes montaient mais la peur d’exprimer sa colère la paralysait. Ce n’était pas un échec, c’était son expérience, et son partage honnête a enrichi tout le cercle.
Certains hommes de leur côté, ont eu honte de taper… devant les femmes. Profondément féministes, ils étaient heureux de voir leurs sœurs s’autoriser cette exploration, mais avaient peur d’être vus comme violents, portant la culpabilité de la violence masculine.
 
La honte, contrairement à la colère, paralyse. 

Et j’y ai vu une des raisons pour lesquelles de nombreux hommes ne participent pas plus activement à la révolution Metoo : ils ont honte. C’est pas mal d’avoir honte, après tout, dans un monde “shameless”, né après la honte, où Trump et Bolsonaro viennent juste de finir leurs mandats peinards. C’est le signe que quelqu’un n’a pas totalement perdu son humanité. Mais bien sûr la honte te cloue là où tu es et empêche un mouvement bénéfique de s’exprimer. Messieurs, si vous vous reconnaissez, dépassez votre honte, on a besoin de tout le monde pour faire la révolution. 
 
Car il faut bien distinguer la violence et la colère. Qu’elle soit silencieuse ou explosive, toute rentrée à l’intérieur ou toute projetée à l’extérieur de soi, la violence est ce qui arrive lorsqu’on ne maîtrise pas sa colère. Et bien sûr, plus celle-ci vous est étrangère, moins sa maîtrise est possible. Pire : plus la colère vous maîtrise, vous. 
 
2. Libérer l’énergie
 
A l’âge de 7 ans, un enfant atteint d’une méningite tombe dans un coma intermittent durant trois mois. Il se réveille mais a perdu une grande partie de sa mémoire. Il est aussi complètement apathique. Son thérapeute tente de le ramener à une vie normale. Pour cela, il le titille, le met en colère. L’enfant finit par lui demander pourquoi : “Anger is an energy”, lui répond le soignant.
L’enfant finit par guérir, grandir, mais il ne mènera pas une vie normale. Ce petit, c’est John Lydon, un des fondateurs des Sex Pistols et du mouvement punk.
 
La colère nous sauve de l’apathie.
 
Si je reviens au cercle, quand on s’est mis à taper avec nos battes, à crier à chaque coup, une énergie immense s’est exprimée. Dans le geste, dans nos voix, dans la communion avec le cercle face à l’immensité de ce que nous cherchions à contenir et à masquer. La joie résultant de l’exercice était l’expression d’une grande libération. Cette énergie folle ne se dissipe pas comme ça. Si vous ne l’exprimez pas, elle se transforme insidieusement en anxiété, en insomnie, en perte d’énergie vitale, de créativité, d’énergie sexuelle… et bien sûr en projection, sur l’autre, sur la vie.
 
Selon mon Anglais, quelqu’un qui n’est jamais en colère est comme une maison avec la porte et les fenêtres ouvertes en permanence. Et c’est dangereux parce que tu laisses des tonnes de choses toxiques entrer, sans même les voir comme telles. Une personne anastrophique (le contraire de catastrophique) se met en danger sans en être consciente. Quelque part, c’est un.e enfant. Et ça me parle énormément, car mes mensonges me ramènent à l’’enfant que j’étais, habitée par la peur panique du rejet. 

“Do you want to be good, or do you want to be whole ?”
Voulez-vous être quelqu'un de bien ou voulez-vous être une personne entière ? 

Mon chéri avait évidemment cette phrase de Jung au cœur lorsqu’il s’est adressé à moi. Et peut-être que c’est ça aussi sortir bien de l’enfance, c’est devenir un ou une adulte entière. Comprendre que la colère ne nous détruit pas ; au contraire, elle nous complète. 
 
3. Re-co-naître la colère ?

La première étape a été pour moi d’accepter que j’avais de la colère. Ensuite, je l’ai laissée s’activer. Pas forcément s’exprimer à l’autre, mais au moins être présente en moi. Il y a alors plusieurs personnes en moi : la personne en colère et l’observatrice de la situation. 

J’apprends à reconnaître les manifestations. Certaines personnes sont froides et calmes dans leur colère. D’autres encore deviennent méchantes et bruyantes. Quelques-unes se réfugient dans des attitudes addictives. Dans mon cas, ma démarche et mes gestes se saccadent, les sourcils se froncent et, surtout, des pensées incessantes et obsessionnelles se mettent à tourner… sans que je le reconnaisse.

C’est là que le mensonge commence pour moi : je me mens à moi-même et il peut m'arriver de passer des journées à rire en surface, puis à me reprendre et à reconnaître que ça crie à l’intérieur. Et quand j’entends ce qui crie, je comprends mieux pourquoi je ne voulais pas l’entendre : c’est tellement moche. Mes colère sont dures, persistantes, injurieuses et au fond très banales. 
 
Après quelques mois de pratique de la colère, mon entourage a commencé à remarquer certains signes et à m’interroger : “Ça ne va pas, je le vois, parle-moi.”

C’était un progrès, car avant, personne ne voyait que j’étais en colère.

On m’appelait d’ailleurs Poker Face. 

Là au moins, ça remontait. Je restais mutique dans un premier temps, pendant plusieurs heures.
Et puis, progressivement, j’ai appris à reconnaître ma colère seule. Une fois reconnue, je ne la contourne plus, je la re-con-nais. Oui, une partie de moi naît avec.
 
4. Remonter le temps

Converser avec ma colère est un exercice difficile mais il m’a sauvé de bien des affres. Il a même permis à certaines relations de ne pas pâtir de mes colères, voire à s’épanouir dans plus de conscience. Petit à petit, j’ai mis le doigt sur les boutons qui activaient ma colère. En voici une liste, qui s’allonge à mesure que je vous écris :

- la perception de mépris chez l’autre ;

- la perception d’ingratitude chez l’autre ;

- l’impression d’être jugée ;

- la perception d’une injustice ;

- l’impression que l’autre me veut pour lui.elle sans tenir compte de qui je suis, désire. Finalement : être objectivée ;

- être décue (par quelqu’un mais aussi, par une figure morale, une institution). J’ai beaucoup, beaucoup de mal à gérer ma déception ;

- me sentir inauthentique dans une situation qui, soi-disant, m’empêcherait d’être qui je suis ;

- pour masquer une peur ou une tristesse inconscientes et tellement énormes que la colère est plus simple à envisager ;

- un sentiment d’injustice vis-à-vis d’une personne ou d’un groupe de personnes que j’aime ;

- la perception d’un mensonge ou d’une manipulation ;

- quand un plan ne se passe pas sans accroc ;

Là encore, cette liste est si longue qu’elle en devient banale.

C’est une des choses que cette pratique m’apprend : je ne suis au-dessus de rien du tout.

Et puis tout ça, ce ne sont que des perceptions, mais pour moi c’est extraordinaire de pouvoir mettre le doigt dessus.

Ayant décelé mes boutons, j’apprends ensuite à dialoguer seule avec ma colère, à m’asseoir avec elle pour comprendre ce qu’elle a à m’apprendre : parfois il s’agit juste de mon égo qui s'enflamme de ne pas obtenir ce que je veux (“mais de quel droit il m’a largué, il a pas le droit”).

D’une façon générale, toutes les phrases qui commencent par “mais de quel droit”, “pour qui se prend-il/elle” me disent que c’est mon égo blessé qui parle : non, la vie n’est pas comme je voudrais qu’elle soit, les gens, mes enfants, ne se comportent pas comme je voudrais qu’ils le fassent. Deal with it !

Parfois aussi, ma colère se montre plus persistante. Et dans ce cas, elle n’est pas le fruit d’un unique événement. Je dois alors remonter le fil, et identifier la série d’événements qui m’a rendue si obsessionnelle, si cassante, si violente, si blessée, si décevante et si déçue, si persuadée d’avoir raison. Dans ce genre de cas, je sais désormais que ma colère renvoie à un tout autre dossier et que ni mon interlocuteur.rice ni notre relation n’a à en faire les frais. C’est à moi de réparer une blessure du passé.

La colère devient donc une machine à remonter le temps.
N’est-ce pas magique ?
 
Quand je n’y arrive plus seule (presque toujours), je demande de l’aide. Ça passe par des discussions avec des proches “qualifiés.es” (tout le monde n’est pas capable de recevoir ma colère), mes thérapeutes, mais aussi par la création, l’écriture de sms ou de lettres que je me force à ne pas envoyer (c’est dur mais on peut toujours y arriver).

Ça passe aussi par la nature. Régulièrement, je pars à sa rencontre pour lui demander son aide. Parfois, assise pendant quatre jours d'affilée, à jeun. Le miroir qu'elle me tend peut suffire à digérer mes colères. Notamment celles du passé, que l'on ne peut pas recomposer.
 
5. Se mettre à la place de l’autre

Pour m’aider dans ma colère, je me souviens que j’ai été de l’autre côté. Ce côté que je juge avec tant de raideur. Je me souviens que j’ai été aussi la personne que je fustige. Comme le dit l’un des maîtres spirituels de la romancière Elisabeth Gilbert  : “cet autre, c’est juste moi un mauvais jour”. Une partie de moi que je n’accepte pas encore.

Sans pardonner à l’avance, j’essaie de ne pas condamner non plus. 

Je convoque mes sages. D’Elisabeth, je passe à Ruiz et ses accords toltèques. Suivant son enseignement, j’arrête mes suppositions et je me dis qu’il n’y a pas forcément de malveillance, peut-être une incompréhension, ou un manque de conscience, dont je fais preuve… tout le temps. Je ne le fais pas pour l’autre, mais pour moi : ça m’apaise énormément.

Puis je passe à Brené Brown et tente de “rester du même côté de la table que l’autre ». Quand je suis en colère, c’est un effort monstrueux de toujours rechercher un contact bienveillant. Mais c’est plus simple que lorsque je ne savais même pas que c’était possible.

Après ces années de pratique, j’ai appris à vérifier trois paramètres avant d’exprimer ma colère à l’autre :

  • Est-ce que la personne peut recevoir ma colère? Parfois ce n’est pas le moment, parfois la personne a une limitation (psychologique, émotionnelle ou de santé mentale...).

  • Est-ce que j’aime encore la personne? Sinon, pourquoi m’exprimer ?

  • Est-ce que je désire que cette relation ait un avenir? Si la réponse est non, je n’en parle pas ou… je mens, c’est plus simple.

Je sais désormais que le silence est le meilleur moyen de faire mourir une relation. Mais en général, je tente ma chance car j’ai trop souvent sous-estimé l’empathie des autres.

6. Chevaucher sa colère

La colère est un flux d’énergie incroyable et quand il m’arrive de pouvoir la chevaucher, ça peut devenir très beau. Et plus encore.

Sans la colère, je n’aurais jamais pu réaliser mes films. Et puis bien sûr, il y a tout le travail des militants et activistes qui me donne du courage. Impossible de s’élever contre la haine et l’injustice sans être mués par la colère. Ils en font quelque chose de leur colère. ça n’est pas violent, c’est même du soin. Et je trouve ça beau. 

A côté de l’artistique et du militantisme, il y a aussi l’intime. Comme je le disais plus haut, je trouve ça difficile. Bien plus que l’artistique franchement. Mais je n’ai plus le choix.

Progressivement, je cesse de performer la bienséance.

Je cesse de mentir sur ce que je ressens. Après avoir pris le temps nécessaire pour déposer ce qui n’appartient pas à l’autre, je m’autorise à exprimer la colère qui appartient intrinsèquement à l'événement ou à la relation. 

Quand cela m’est possible, j’applique la méthode de la communication non violente. J’essaie de maintenir un dialogue constructif, tout en déclarant :

« Je vous préviens je suis en colère, j’aimerais qu’on trouve une solution ensemble, mais voilà, sachez que pour l’instant je suis en colère.» 

Ça permet à l’autre de ne pas se poser de questions, de circonscrire des indices qu’iel pourrait prendre pour agressifs (mes sourcils froncés, mes cris) pour ce qu’ils sont : le signe qu’il y a de la colère en moi, et pas que je veux lui défoncer la gueule. Je suis d’ailleurs surprise par les réactions de mon entourage. Beaucoup plus apte à recevoir ma colère que ce que mes angoisses m’avaient laissé imaginer.

Dire que je suis en colère, c’est prendre soin de l’autre, de la relation ; il y a un monde entier entre dire “je suis en colère” et “sale connard”, entre “je suis fatiguée et donc légèrement irritable ce soir mes enfants chéris” et “putain mais qu’est ce qui m’a pris de faire des gosses?!”, “mes conditions de vie sont injustes” et “tout est la faute des femmes voilées”. 

Bien sûr, la communication non violente ne m’est pas toujours accessible, ou pas complètement… Il arrive même que je plonge direct : j’y vais de “mon bon droit”, je suis victimaire, agressive, égotique. Sans surprise, ça se passe moins bien.

Exprimer ma colère sainement me demande de grandir. Et plus je suis grande, plus je suis saine, plus c’est aimant et… plus c’est efficace. La colère exprimée est devenue l’un des fondamentaux de mes relations d’amour. Loin de la perception de violence qu’on lui impose, c’est un moteur d’intimité incroyable.
 
7. Accepter d’avoir tort

Initier une discussion avec l’autre m’expose énormément. Je suis vulnérable. Et si je m’autorise à exprimer ma situation, c’est aussi pour entendre l’autre exprimer la sienne.

Combien de fois ai-je été bouleversée par l’approche de l’autre ? 

Mes angles morts démasqués, je découvre en même temps un plaisir nouveau : avoir tort. Ça fait le bruit d’une porte à l’intérieur “clac” qui s’ouvre sur un extérieur. Celui d’un nouvel horizon faisant irruption dans ma vie, qui de facto s’en trouvait augmentée. Je deviens moi, dans le lien à l’Autre.

Avoir tort, c’est aussi ne plus être seule.
 
8. Traverser des océans de mocheté

La première fois que j’ai explosé avec mon partenaire, c’était vraiment moche-beau. Nous étions comme consentant•es pour partir un peu trop loin. Je savais, il savait, que ma colère montante n’avait rien à voir avec nous, que nous c’était juste le canal par lequel ma colère passée aurait le droit de s’exprimer moche une première fois au présent. On s’est regardés, il a hoché de la tête, c’est monté, j’ai commencé à hurler.

“Vas-y ma chérie !”

Ça a brûlé, ça a tapé, ça a fini en larmes, avec ma tête hirsute, la morve au nez, loin, loin du blog beauté. J’avais comme traversé des océans entiers et de l’autre côté mon mec m’attendait, en larmes aussi, mais super amoureux. Super ému pour moi. 

Il m’arrive toujours de me perdre dans les méandres de ma violence. Je ne le fais d’ailleurs qu’avec lui, parfois avec mes frères, ou un psy, car je sais que notre relation est un lieu sécurisé pour le faire.

C’est très important que le ring soit délimité d’élastiques souples mais puissants me ramenant toujours au centre.

C’est comme un voyage. Je crache le morceau et on m’écoute, et on acquiesce et on m’en demande même plus. Plus. Plus. Encore plus. Et moi j’y vais. Loin, loin, toujours plus loin. Et puis, à un moment, je coupe les amarres et dérive. On me dit “ok, vas-y, vas jusqu’au bout”. Donc j’ai le droit et je dérive encore. Ça ne doit pas durer si longtemps, mais peut être quand même.

Je dérive et à un moment je me retourne et je vois que je suis seule. Je me retrouve sur l’autre rive. Tu sais, la rive du très fameux

« Je vous déteste tous, bandes d’enculés » 

et je vois que j’ai toujours le droit mais que je suis seule, parce que je vais trop loin, en moi, dans « ma » colère, mais que j’en prends le droit. Et c’est moche, mais le ring est fait pour ça. Et personne ne me juge, pas même moi, et donc je peux reprendre ma barque, apaisée, et revenir. Parce que j’ai le droit aussi. Et qu’on m’attend de l’autre côté et qu’on me dit : je te comprends.

On m’entend. Différente, singulière. J’ai souvent honte, et en même temps je suis tellement heureuse. Ma colère est sortie et s’est épuisée.

Mais elle fait partie de moi, des possibles vérités qui m’animent.

Et cultiver la vérité, c’est se rapprocher de l’amour, non ?

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